Alors que s’ouvre ce mardi 24 septembre à New York le Sommet pour les Objectifs de développement durable (les ODD, adoptés par la communauté internationale en 2015) – où les chefs d’État discuteront des avancées de l’Agenda 2030 –, nous sommes nombreux à partager le constat formulé en juillet dernier par le secrétaire général de l’ONU, António Guterres :
« Nous progressons trop lentement pour enrayer les souffrances humaines et créer des opportunités pour tous. »
Croissance démographique, urbanisation, vulnérabilités accrues, risques de sécheresse et d’inondation liés au changement climatique, biodiversité menacée… Le monde vivant est en danger du fait d’un mode de développement non durable. Les sociétés humaines souffrent de grands déséquilibres et peinent à mettre en place des modèles à la fois inclusifs et respectueux de leur environnement.
Si les objectifs à atteindre sont aujourd’hui bien définis et partagés, il devient urgent de passer du discours à l’action. Pourquoi – alors que nous prenons progressivement conscience des impacts de nos modes de vie, de production et de consommation, et plus généralement de nos modèles de développement – avons-nous tant de mal à changer ? Quelle dynamique vertueuse enclencher ? À quel niveau amorcer ce changement ?
Comparé aux précédentes initiatives internationales pour le développement, la nouveauté de l’Agenda 2030 réside dans le souci d’associer pays du Nord et du Sud d’une part, autorités politiques, acteurs économiques et citoyens, d’autre part. L’Agenda 2030 invite ainsi à penser et agir à plusieurs niveaux.
Et le changement espéré doit lui aussi être compris et mis en œuvre à différentes échelles. On sait désormais que les avancées ne seront pas exclusivement le fait d’initiatives des États ni des acteurs économiques ni de la sphère citoyenne mais qu’elles résulteront d’une combinatoire des efforts et actions issus de différentes échelles et de toutes les catégories d’acteurs.
Au niveau individuel, si certains scientifiques identifient des facteurs de réticence au changement propres au fonctionnement même du cerveau reptilien – qui nous incite de manière structurelle à préférer satisfaire des besoins individuels fondamentaux (alimentation, reproduction, domination, etc.) plutôt qu’à prévenir des risques collectifs sur le long terme – d’autres travaux montrent également l’importance de l’environnement affectif et de la mémoire individuelle et sociale pour permettre le changement, autour par exemple de la notion de « mémoire du futur », la peur constituant un frein majeur à nos capacités à nous mettre en mouvement.
Au niveau collectif et sociétal, des travaux en sociologie sur « l’écologisation » des modes de vie confirment également que la culpabilisation ou une insistance trop marquée sur les écarts entre discours et pratiques écologistes s’avèrent relativement stériles pour faire évoluer les comportements.
La capacité de chaque être humain à s’adapter à de nouveaux contextes nécessite donc de concilier ses désirs et ses peurs et les incertitudes liées au changement. En ce sens, s’engager dans des projets de territoire, à travers différents moyens – participation citoyenne, projets relevant de l’économie sociale et solidaire ou de la dynamique des communs – permet de rétablir le lien et la confiance nécessaires au changement et de renouer avec notre environnement pour donner du sens à nos engagements.
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Prenons l’exemple concret de l’accès à l’eau et à l’assainissement, et de la gestion durable des ressources en eau, auxquels le sixième objectif de développement durable (ODD) est consacré. Les ressources hydriques permettent d’assurer les fonctions vitales individuelles (boisson, hygiène) et contribuent aux fonctions vitales collectives (agriculture, élevage). Elles constituent aussi le soubassement de toute implantation humaine (naissance des villes) et la condition nécessaire à leur développement.
Au-delà de ce 6e objectif, l’eau joue un rôle essentiel pour l’atteinte des 17 autres : l’accès aux services de base est une des premières conditions de sortie de la pauvreté (objectif 1), l’eau est essentielle pour l’agriculture et permet de limiter la sous-nutrition (objectif 2), l’accès à une eau saine et à l’assainissement réduit les maladies (objectif 3), etc.
Mais, en matière d’accès à l’eau et de gestion durable des ressources hydriques, les défis sont considérables. Les derniers rapports des Nations unies, de l’OCDE et de la Banque mondiale estiment qu’en 2015, 2,1 milliards de personnes dans le monde n’avaient pas accès à des services d’eau potable gérés en toute sécurité et 4,5 milliards ne disposaient pas de toilettes ; 80 % des eaux usées étaient rejetées dans l’environnement sans traitement.
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Par ailleurs, les projections montrent que 40 % de la population mondiale sera confrontée à des pénuries d’eau en 2050 et que les financements nécessaires pour l’eau potable et l’assainissement pour tous sont trois fois supérieurs aux investissements actuels. Nous savons qu’il existe de fortes réticences : puissance des grands consommateurs de la ressource, forte politisation du secteur, lobbies bien installés, etc.
Pour accélérer la poursuite des ODD, le collectif #EauDD, composé de différents acteurs – scientifiques, associations, fondations, collectivités, agences de l’eau… – travaille depuis janvier 2018 au recensement, à l’analyse et au partage d’expériences et de projets autour de l’eau ; il s’agit de mettre en évidence des leviers efficaces pour accélérer la mise en œuvre de l’Agenda 2030 ; ces expériences ont été présentées et débattues lors de Rencontres organisées en juin 2019 et sont désormais accessibles en ligne.
Évoquons ici quelques-unes des nombreuses expériences recensées ; leur récit partagé vise à ce qu’elles se fassent écho, dans une dynamique de « translocalisme ».
Comme dans la ville de Lodève (Sud-Est de la France), par exemple, où il a fallu résoudre des problèmes d’adduction d’eau et d’assainissement, de réaménagement du centre-ville et de restauration de cours d’eau. Avant de penser un projet technique, c’est une démarche de co-construction avec les habitants et l’ensemble des acteurs concernés, localement et jusqu’à l’échelle du bassin, consolidée par une étude socio-économique qui a été engagée. Cette démarche a permis de partager les perceptions et les usages, la diversité des attentes et des contraintes techniques et politiques afin de considérer le projet de territoire dans une approche globale.
Dans un tout autre registre et milieu, citons la démarche des acteurs du Pays du Mont-Blanc qui ont œuvré ensemble pour améliorer connaissance et politique de l’eau à l’échelle locale. L’étude qui a été menée par le laboratoire CREA a permis – en croisant des données de terrain, issues de mesures scientifiques mais aussi des sciences participatives (les promeneurs participant aux relevés pour les scientifiques), des images satellites, et les projections climatiques locales – d’alerter les décideurs sur les risques d’assèchement des zones humides d’altitude et d’anticiper ces risques en les prenant en compte dans l’élaboration des politiques de gestion de l’eau.
Autre exemple, dans le domaine de la sensibilisation et de l’éducation cette fois, avec un dispositif s’adressant aux enfants mais aussi aux adultes et aux acteurs de l’eau. Au sein d’une « classe d’eau », se sont retrouvés les membres d’une commission locale de l’eau, réunissant élus, professionnels et populations, afin de mieux comprendre ensemble les enjeux locaux. Cette expérience partagée a suscité de nouvelles dynamiques et interactions entre les porteurs du Schéma d’aménagement de gestion des eaux (Sage).
On le voit, les expériences sont nombreuses pour permettre un accès aux services d’eau au plus grand nombre. Généraliser l’accès aux services essentiels est un enjeu vital pour les populations. Favoriser des partenariats entre acteurs comme l’association de collectivités locales et d’agences de financements permet de développer et soutenir la mise en place de services plus performants et plus durables ; à l’instar du plan Eau Dom et des « contrats de progrès » pour améliorer les services d’eau dans les territoires d’outre-mer.
Généraliser l’accès passe aussi, dans certains contextes, par l’appui à des solutions décentralisées, comme le montre l’exemple des services gérés par des associations d’usagers dans les périphéries de Kinshasa (République démocratique du Congo).
Ce panorama très divers et très fourni d’expériences concrètes invite à promouvoir l’idée de co-construction et de partage des connaissances et actions possibles. Cette diversité se reflète aussi dans la composition du collectif qui porte ce mardi 24 septembre aux Nations unies, le Manifeste #EauDD. Pour que chaque catégorie d’acteur – citoyen, État, collectivité, entreprise, association, média, scientifique, etc. – contribue dans sa pratique quotidienne, personnelle comme professionnelle, à activer les leviers d’accélération pour un monde durable.
Cet article est co-écrit avec le Partenariat français pour l’eau.
Sarah Botton, Sociologue PhD, chargée de recherche, Agence française de développement (AFD) et Agathe Euzen, Directrice de recherche, anthropologie et sciences de l’environnement, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.