La bioéconomie, c’est l’économie basée sur les ressources issues du monde vivant : agricoles, forestières, piscicoles ; mais aussi les déchets organiques et les produits de l’activité des micro-organismes.
L’usage croissant de cette notion, notamment dans les discours politiques, témoigne du fait que ces ressources du monde vivant (appelées « bioressources ») sont aujourd’hui en grande partie sous-exploitées. La moitié de l’accroissement naturel en forêt n’est par exemple pas valorisé (ce qui représente environ 50 millions de mètres cubes en France métropolitaine), tandis que les sols agricoles sont menacés de dégradation (on estime que 16 % des sols européens sont dégradés).
Historiquement, le terme de bioéconomie correspondait à une vision englobante visant à replacer la production au sein de l’écosystème ; une façon donc de promouvoir une économie soucieuse de préserver le fonctionnement des systèmes naturels.
Depuis, d’autres courants sont apparus, s’inscrivant pour certains à l’opposé de cette première définition. Ainsi, le Club des bioéconomistes propose-t-il l’optimisation du potentiel de production permis par la photosynthèse pour répondre aux besoins (notamment alimentaires) croissants, sans considération pour les aspects écologiques autres que ceux nécessaires au maintien de la production.
Depuis 2012, date à laquelle la Commission européenne s’est dotée d’une stratégie en faveur de la bioéconomie, nombre de pays tentent de s’approprier ces nouvelles perspectives.
En France, la bioéconomie s’entend comme « l’ensemble des activités liées à la production, à l’utilisation et à la transformation de bioressources. Elles sont destinées à répondre de façon durable aux besoins alimentaires et à une partie des besoins matériaux et énergétiques de la société, et à lui fournir des services écosystémiques ».
Mais la bioéconomie, et sa recherche de durabilité, est avant tout une manière nouvelle de penser l’organisation économique.
Remettre le vivant au cœur de l’économie, ce n’est pas seulement préférer des produits directement issus des processus vivants (biogaz plutôt que carburants fossiles, matières recyclables plutôt que minérales). C’est aussi penser la production de manière « organique » et donc sortir du schéma classique : exploitation de ressources, transformation, consommation, mise en déchet.
La recherche de durabilité et d’efficacité implique à la fois de valoriser chaque fois que faire se peut les coproduits et de maintenir le potentiel de production des écosystèmes à l’origine des bioressources. C’est le principe à la base de l’agroécologie, qui vise à renforcer la résilience des systèmes agricoles sans remettre en cause leur productivité, par exemple en favorisant un couvert végétal permanent (qui maintient la qualité des sols) et en introduisant des légumineuses (qui diminuent les besoins en engrais).
Une telle démarche implique de chercher au maximum à réutiliser sur place des coproduits qui passent d’un statut de déchet à un statut de ressource. C’est le cas typique de la méthanisation qui à partir de déchets organiques peut permettre à la fois une production d’énergie et un digestat aux propriétés fertilisantes. Ce principe de « circularité » peut s’étendre à bien d’autres filières.
Les implications de la bioéconomie sont profondes. Elles sont certes en grande partie technologiques (recherche de variétés végétales plus performantes, de nouveaux processus de transformation biologiques pour la chimie et les matériaux, développement de capteurs et de systèmes de monitoring fin des processus industriels), mais aussi organisationnelles et sociales.
Le développement à grande échelle de l’approche bioéconomique implique en effet un changement d’attitude tant de la part des producteurs (organisation circulaire de la production) que des consommateurs (changement de regard sur certains produits ayant le statut de déchets, comme les digestats issus de méthanisation).
Au-delà des aspects environnementaux, les enjeux économiques et sociaux sont considérables pour nombre de territoires qu’ils soient ruraux ou urbains : en recherchant l’efficacité par la circularité, l’emploi créé est par nature très peu délocalisable.
Le cas de l’énergie illustre bien l’ampleur du potentiel que représente le développement de la bioéconomie. Les bioénergies (bois-énergie, méthanisation, biocarburants) représentent à ce jour près de la moitié des énergies renouvelables et leur potentiel de développement est loin d’être pleinement exploité. Or, en France, l’énergie « perdue » dans les processus de transformation et de transport correspond peu ou prou à notre déficit commercial dans ce secteur.
Même si ce déficit est impossible à supprimer à court terme grâce aux bioénergies – pour des raisons à la fois structurelles (place des carburants fossiles et du nucléaire), économiques (coûts relatifs des énergies) et physiques (pertes lors des transformations énergétiques) –, une valorisation plus efficace de la chaleur et la poursuite du développement de ces bioénergies permettraient des créations d’emploi non négligeables.
Ainsi, le rapport 2016 du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux estime qu’un emploi direct peut être créé pour une production supplémentaire de 140 tonnes d’équivalents-pétrole. Ceci sans compter les emplois indirects et les gains possibles par une récupération plus efficace de la chaleur dissipée dans l’environnement (la chaleur représentant environ la moitié des besoins en énergie). Et l’on pourrait tenir des raisonnements similaires de même sur les pertes alimentaires, qui sont de l’ordre de 30 %.
Mais pour être pleinement capté, ce potentiel de création d’emploi nécessite d’adopter une approche systémique de la transition vers la bioéconomie.
La bioéconomie n’est pas la simple juxtaposition d’une agriculture plus durable, d’un secteur forestier plus développé et d’une meilleure valorisation des déchets organiques. Elle nécessite de penser les liens entre ces différents secteurs et les interactions avec les politiques d’aménagement et de formation nécessaires. C’est donc avant tout au niveau des territoires que se jouera cette transition, par la création d’infrastructures (réseaux de distribution notamment) pensées pour améliorer la circularité des filières, par une capacité à faire dialoguer les différentes parties prenantes (entreprises, résidents, associations) pour gérer les nuisances (réelles ou supposées), par une valorisation de toutes les compétences, des plus pointues aux moins qualifiées. Le rôle des acteurs publics locaux sera donc essentiel.
Car l’un des principaux effets de la bioéconomie n’est ni économique ni environnemental : il s’agit de pouvoir repenser le rapport au territoire et de remettre du lien social au cœur de l’économie.
Jean-Marc Callois, Directeur du département « Territoires », Irstea
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.