Mélanger des arbres avec des cultures. L’idée peut surprendre et fera bondir plus d’un agriculteur, mais c’est l’essence même de l’agroforesterie : planter des alignements de noyers dans un champ de céréales, cultiver des légumes sous un couvert arboré, entretenir des haies arbustives régulièrement espacées dans un champ, transformer un jardin potager en jardin-forêt, entourer les champs de haies pour former un bocage, faire pâturer des animaux dans un pré-bois…
L’agroforesterie est une pratique très ancienne. Au néolithique, lorsque l’homme défriche des forêts pour les convertir en champs et se déplace à la recherche de nouvelles parcelles, il sait déjà que les arbres qui poussent pendant la jachère, cette phase de repos du sol, permettent de cultiver à nouveau quelques années plus tard. Dans les terrains de parcours où se déplacent les premiers pasteurs nomades, les animaux consomment surtout du brout, le fourrage des arbres.
De nos jours, l’agroforesterie est encore omniprésente dans les pays tropicaux. Le système de culture le plus répandu en Afrique consiste à entretenir des arbres dispersés dans les parcelles et cultiver entre les arbres. On l’appelle parfois « parc agroforestier » ou « agriculture sempervirente », et les arbres qui s’y trouvent ont de multiples usages : bois, nourriture, médicaments, fibres, fourrage, résine, latex, tannin, etc. On en utilise les feuilles, le bois, les fruits, mais aussi les racines, les branches, les fleurs… Dans ces parcelles, les arbres protègent le sol de l’érosion, en améliorent la fertilité, procurent de l’ombre aux plantes qui ne supportent pas le plein soleil, diminuent les effets néfastes du vent, concentrent l’humidité. Ils sont aussi un symbole de statut social et permettent de visualiser les limites de parcelles, de marquer la propriété. Sous l’arbre à palabres, l’Afrique discute et invente.
L’agroforesterie, ce sont aussi les jardins-forêts, agroforêts et forêts plus ou moins domestiquées que l’on trouve dans de nombreux pays en développement. Le café ou le gingembre, lorsqu’ils sont cultivés sous des arbres d’ombrage, le poivre, la vanille ou les ignames, lorsqu’ils poussent sur un arbre support, les pâturages sous cocotiers ou en milieu forestier, sont autant de cas d’agroforesterie. Les arbres fourragers, également, se comptent par centaines dans tous les pays chauds ; ils permettent d’assurer l’alimentation des troupeaux pendant la saison sèche. Les exemples sont innombrables et témoignent de l’importance de l’arbre dans le quotidien des populations rurales des pays du Sud.
L’agriculture des pays industriels, en revanche, a superbement éliminé l’arbre de ses préoccupations pendant la plus grande partie du XXe siècle, le laissant aux forestiers et arboriculteurs spécialisés, sous prétexte que les arbres gênaient les cultures et compliquaient la mécanisation. On connaît le résultat : l’océan de blé de la Beauce et la monotonie des paysages agricoles dépourvus de haies ou de champs complantés d’arbres. Heureusement, la tendance est en train de s’inverser. L’agroforesterie se fait une place en Europe, où l’on sait à présent produire du bois d’œuvre et des céréales sur une même parcelle. Les haies rurales sont enfin réhabilitées. On recommande l’utilisation de « bois raméal fragmenté », des copeaux de jeunes branches d’arbres, pour servir d’engrais naturel et améliorer le fonctionnement des sols cultivés. Et dans l’hémisphère sud, Néo-zélandais et Australiens sont passés maîtres dans l’art de l’élevage associé aux plantations forestières.
L’agroforesterie, par ailleurs, retient désormais l’attention de tous ceux qui cherchent des solutions pour lutter contre le changement climatique – et s’y adapter – en modifiant l’utilisation des terres rurales. Les arbres sont en effet des « puits de carbone » : ils absorbent de grandes quantités de dioxyde de carbone atmosphérique (CO2), ce gaz à effet de serre en partie responsable du changement climatique. Celui-ci permet de fabriquer, via la photosynthèse, de la matière végétale. Lorsque celle-ci meurt (feuilles qui tombent, arbre en fin de vie…), elle est décomposée par les micro-organismes et transformée en matière organique (telle que l’humus), riche en carbone. Ce carbone piégé dans le sol, c’est autant de CO2 qui n’est plus dans l’atmosphère, ce qui atténue le changement climatique. En outre, la matière organique du sol contribue également à en améliorer les propriétés, de sorte qu’il va mieux retenir l’eau et les nutriments dont les plantes ont besoin ; ce qui, cette fois, contribue à l’adaptation au changement climatique.
Les spécialistes du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ne s’y sont pas trompés : ils classent l’agroforesterie parmi les méthodes de mise en valeur du sol capables de renforcer simultanément l’adaptation au changement climatique et son atténuation, et la recommandent notamment dans leur volume sur l’Afrique, publié en 2014. Lors de la COP21, l’agroforesterie était sur de nombreuses lèvres. Si tout va bien, les arbres devraient bientôt retrouver la place qu’ils n’auraient jamais du perdre dans la mise en valeur du sol par l’homme.
Emmanuel Torquebiau est notamment l’auteur de « L’agroforesterie,
Des arbres et des champs » (éd. L’Harmattan).
Emmanuel Torquebiau, Chercheur en écologie tropicale et agroforesterie, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.