Ancien président du Muséum national d’histoire naturelle, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie à Paris et président du Conseil scientifique de l’Agence française pour la biodiversité (AFB), Gilles Bœuf étudie l’impact de l’homme sur son environnement. Son combat : sensibiliser tous les publics à l’importance de la préservation de la biodiversité. Rencontre dans le cadre des Tribunes de la presse, à Bordeaux en décembre 2017.
Comment définissez-vous le terme d’anthropocène ?
« Anthropo » signifie « humain » et « cène » signifie « époque ». Reprenons la définition de Paul Josef Crutzen, prix Nobel de chimie, qui invente le mot dans les années 2000. Pour lui, l’anthropocène, c’est la fraction de l’histoire de la Terre durant laquelle le plus puissant moteur de changement est la présence de l’humain, accompagné de son cortège de plantes cultivées et d’animaux domestiques.
Il y a trois hypothèses concernant la date du début de cette période. Pour Crutzen, elle commence à la Révolution industrielle. On invente la locomotive et, du jour au lendemain, il faut du pétrole et du charbon. Deuxième hypothèse : l’anthropocène débuterait dès le néolithique, il y a 12 000 ans. Les femmes se mettent à faire beaucoup de bébés, l’agriculture et l’élevage se développent. Dernière hypothèse, que je privilégie : l’anthropocène débute en 1945. C’est le moment où l’humain, grâce à sa science et sa technologie, par ses bombardements atomiques au Japon, déclenche des phénomènes d’une grande puissance, simulant des catastrophes naturelles et où l’explosion démographique commence. On est passé de 2 milliards d’humains sur Terre en 1945 à près de 8 milliards aujourd’hui.
Vous déclarez dans votre leçon inaugurale au Collège de France que « cinq [crises de la biodiversité] ont joué un rôle déterminant dans l’histoire de la vie […] ». L’être humain peut-il en provoquer une nouvelle ?
Ce qui est compliqué avec l’humain, c’est qu’il peut à la fois créer une nouvelle crise de la biodiversité et réagir à temps pour l’en empêcher. Une crise d’extinction, c’est la disparition d’au moins les trois quarts des espèces vivantes dans les océans et sur les continents sur un temps court. Je ne parle pas de crise d’extinction, car nous n’en sommes pas là. Mais aujourd’hui, on en crée les conditions. On pourrait renverser la tendance en arrêtant de gaspiller l’eau, de mettre des pesticides dans les champs, de surpêcher, de détruire les forêts tropicales, de détruire la biodiversité, de polluer !
Il faut tuer cette économie qui consiste à faire du profit et gagner de l’argent, en détruisant la nature et/ou en la surexploitant. Nous avons le choix entre interdire ou surtaxer au maximum. Mais pour cela, on doit arrêter de penser à court terme. Imaginer un système politique qui pense à nos enfants et à nos petits-enfants. Le temps de la nature n’est pas le temps de la politique humaine. On élit des gens qui ne s’intéressent pas ou que très peu à l’environnement. À droite comme à gauche d’ailleurs. C’est à la société civile de se battre pour faire changer les choses.
Comment rebâtir une harmonie entre l’humain et la nature ?
Il faut enseigner l’écologie à tous. Un énarque va prendre des décisions environnementales chaque jour et il ne sait pas ce qu’est l’écologie. Il ne sait pas qu’il a des bactéries partout dans lui et sur lui. L’écologie, c’est aussi important que l’histoire de l’art ou les mathématiques. Déjà, c’est une science. Je fais une grosse différence entre écologie et écologisme. Je suis écologue et non écologiste. Un écologiste est un militant de terrain qui appartient à un mouvement politique. Un écologue est quelqu’un qui fait de la science écologique, qui répond à des questions posées par une approche scientifique.
Quand les écologistes français auront des écologues avec eux, tout changera. Mais ce sont les générations futures, les jeunes, qui ont les clés en main. L’écologie doit être enseignée dès le plus jeune âge, à l’école primaire. Il faut leur apprendre qu’on fait partie d’un système vivant, leur apprendre l’humilité, l’harmonie, le partage, le respect de l’autre, la tolérance. L’humain fait partie de son environnement, il n’est pas un être à part.
La solution doit être globale : créer de l’emploi, donner à manger à chacun, réduire les inégalités à l’échelle planétaire est indispensable et l’innovation doit bénéficier à tous. Le développement durable passe par l’éradication de la pauvreté et une bien meilleure intégration des femmes.
Propos recueillis par Manon Pélissier et Emeline Paillasseur, étudiantes en master professionnel à l’Institut de journalisme Bordeaux Montaigne/Université Bordeaux Montaigne.
François Simon, Maître de conférences hors classe en sciences de l’information et de la communication, Université Bordeaux Montaigne
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.