Quand un athlète approche de trop près les limites de son corps, il arrive souvent que ce dernier réagisse par une blessure qui le contraint alors au repos. Quel sportif ayant poussé trop loin ses capacités ne s’est fait rappeler à l’ordre par un claquage, une tendinite, une fracture ou autre douleur l’obligeant à lever le pied ?
En écologie, il est aussi démontré que les écosystèmes nous envoient des signes lorsqu’ils sont en train d’atteindre des niveaux de dégradation tels qu’ils ne peuvent plus assurer les fonctions de régulation qui leur permettent de maintenir leur équilibre. C’est ce qu’on appelle des « signaux d’alarme précoces » (« early warning signals » en anglais).
Depuis la pandémie de Covid-19, plusieurs auteurs ont fait le lien entre l’épidémie et le déclin de la biodiversité). Le lien entre l’émergence actuelle des zoonoses et le déclin de la biodiversité est également documenté depuis quelques années ; celui entre maladies infectieuses et changement climatique commence également à l’être.
Et, début 2022, des chercheurs du Stockholm Resilience Centre et leurs collègues, ont alerté sur des niveaux de pollution chimique et plastique hors de contrôle au niveau mondial.
Ces différents signaux d’alarme viennent nous rappeler que les capacités de la planète à absorber les pollutions et dégradations que nous lui imposons sont limitées. Et comme pour un sportif, approcher de trop près ces limites n’est pas sans danger…
Depuis plus de dix ans, des scientifiques issus de disciplines et d’institutions différentes travaillent ensemble à définir à l’échelle planétaire le cadre d’un « espace de fonctionnement sûr » (SOS – Safe Operating Space, en anglais), caractérisé par des limites physiques que l’humanité devrait respecter sous peine de voir les conditions de vie sur Terre devenir bien moins accueillantes pour la vie humaine. Ce cadre a depuis été complété et actualisé à l’occasion de plusieurs publications.
Ces auteurs mettent en avant la dimension holistique du « système Terre ». Par exemple, l’altération de l’utilisation des sols et des cycles de l’eau rend les systèmes plus sensibles aux changements climatiques. Les modifications des trois grands systèmes globaux de régulation sont aujourd’hui bien documentées : l’érosion de la couche d’ozone, le changement climatique et l’acidification des océans.
D’autres cycles, plus lents et moins visibles, régulent la production de la biomasse et de la biodiversité, contribuant ainsi à la résilience des systèmes écologiques : les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, le cycle de l’eau douce, les changements d’utilisation des sols et l’intégrité génétique et fonctionnelle de la biosphère. Enfin, deux phénomènes présentent des limites qui ne sont à ce jour pas quantifiées par la communauté scientifique : la pollution atmosphérique par les aérosols et l’introduction d’entités nouvelles (chimiques ou biologiques, par exemple).
Ces sous-systèmes biophysiques réagissent de façon non linéaire, parfois brutale, et sont particulièrement sensibles lorsque l’on s’approche de certains seuils. Les conséquences du dépassement de ces seuils risquent alors d’être irréversibles et pourraient, dans certains cas, conduire à des changements environnementaux démesurés.
Selon Steffen et ses collègues (2015), les limites planétaires sont déjà dépassées pour le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore et le changement d’utilisation des sols. Selon les chercheurs du Stockholm Resilience Centre et leurs collègues (2022), celles relatives à la pollution plastique et chimique le sont aussi.
On s’approche également dangereusement des limites en ce qui concerne l’acidification des océans. Pour ce qui est du cycle de l’eau douce, si W. Steffen et ses collègues considèrent que la limite n’est pas encore atteinte à l’échelle mondiale, le ministère de la Transition écologique et solidaire constate que le seuil est déjà franchi au niveau de la France.
Ces dépassements ne pourront pas se prolonger indéfiniment sans menacer les équilibres du système Terre. D’autant que ces processus sont intimement liés les uns aux autres. Par exemple, transgresser les limites d’acidification des océans ainsi que celles des cycles de l’azote et du phosphore limitera, à terme, la capacité des océans à absorber le carbone atmosphérique. De même, l’artificialisation des terres et la déforestation diminuent la capacité des forêts à séquestrer le carbone, et donc à limiter le changement climatique. Mais elles réduisent aussi la résilience des systèmes locaux face aux changements globaux…
Représentation des neuf limites planétaires (traduit de Steffen et coll., 2015)
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Les ressources biologiques dont nous dépendons subissent des transformations rapides et imprévisibles à l’horizon de quelques générations humaines. Ces transformations risquent de provoquer un effondrement des écosystèmes, des pénuries alimentaires ainsi que des crises sanitaires potentiellement bien pires que celle que nous connaissons aujourd’hui. Les principaux facteurs à l’origine de ces impacts planétaires sont clairement identifiés : il s’agit de la croissance de la consommation de ressources ; de la transformation et de la fragmentation des habitats naturels ; et de la consommation d’énergie.
Il est également largement établi que les pays les plus riches sont majoritairement responsables des pressions écologiques à l’origine de l’atteinte des limites planétaires… alors que les pays du Sud, plus pauvres, sont majoritairement victimes des conséquences de ces dégradations.
L’épisode de crise sanitaire que nous connaissons a montré que des décisions politiques fortes pouvaient être prises afin de respecter une limite – celle, par exemple, du nombre de lits disponibles pour accueillir des malades. Saurons-nous en faire autant avec les limites planétaires ?
Les 150 citoyens de la Convention citoyenne pour le Climat avaient d’ailleurs proposé de « faire évoluer notre droit afin que le pouvoir judiciaire puisse prendre en compte les limites planétaires. […] La définition des limites planétaires permet d’établir un référentiel pour quantifier l’impact climatique des activités humaines. »
Un objectif ambitieux et plus que jamais nécessaire.
Aurélien Boutaud et Natacha Gondran sont les auteurs de « Les limites planétaires », paru en mai 2020 aux éditions La Découverte.
Natacha Gondran, Enseignante-chercheuse en évaluation environnementale, Mines Saint-Etienne – Institut Mines-Télécom et Aurélien Boutaud, Docteur en sciences et génie de l'environnement, Mines Saint-Etienne – Institut Mines-Télécom
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.