Au Nigeria, un conflit majeur oppose bergers nomades et agriculteurs. Ces heurts ont déjà causé la mort de 2 500 personnes, déplacé 62 000 autres et entraîné la perte de 13,7 millions de dollars de recettes. Rien qu’en janvier 2018, le conflit a fait 168 victimes.
Les bergers sont surtout des Peuls, peuple majoritairement musulman qui vit dispersé en Afrique de l’Ouest. Les agriculteurs sont eux principalement chrétiens. Quand la violence éclate entre ces deux groupes et se concrétise par des destructions symboliques d’églises, rien d’étonnant qu’au Nigeria comme ailleurs, on explique que le conflit est motivé par la religion et l’origine éthnique des populations qui s’affrontent.
Mais quelque chose manque cruellement pour bien comprendre la situation ; et ce quelque chose c’est la situation environnementale du pays. Le Nigeria s’étend sur plus de 1 000 km : le Sud y est verdoyant et tropical tandis que le Nord côtoie le désert du Sahara. Il faut également rappeler que le désert se déplace vers le sud à un rythme de 600 mètres par an. Il y a aussi la situation dramatique du lac Tchad, dans le nord-est du pays, qui est pratiquement asséché.
Les bergers peuls, qui dépendaient autrefois du lac, ont ainsi dû se déplacer vers le sud à la recherche de pâturage et d’eau pour leur bétail. Or plus l’on se dirige vers le sud, plus la population se christianise ; c’est ainsi que des conflits ayant pour cause l’accès aux ressources naturelles prennent des airs de tensions religieuses.
De tels conflits entre bergers et fermiers n’ont rien d’une nouveauté. À la fin des années 1960, une sécheresse a ainsi entraîné une lutte pour les terres au cœur du Sahel ; les Peuls ont également des antécédents d’annexion stratégique de territoires.
La nouveauté, c’est que ce conflit a pris une échelle totalement différente : un problème autrefois limité au nord du Nigeria est aussi devenu en enjeu majeur dans le Sud.
Cette évolution s’explique par une crise environnementale sans précédent qui a provoqué la migration massive des Peuls à travers l’Afrique de l’Ouest et le sud du Nigeria ; et Abuja n’est pas parvenu à empêcher les nomades de passer ses frontières. Cette arrivée de nouvelles populations a perturbé les relations et les équilibres qui existaient entre les communautés d’agriculteurs locaux et les bergers nomades.
Ces explications sont toutefois souvent négligées au profit d’un débat autour des aspects religieux ou ethniques du conflit. Une telle approche verse généralement dans l’émotion, empêchant une authentique analyse des forces qui sous-tendent ces tensions. Cette prédominance d’un récit portant sur la « guerre ethnique » rend ainsi compliquée l’émergence d’approches globales et durables ; dans un pays composé d’un mix de cultures et de religions, un tel état de fait constitue une menace pour l’unité nationale et les efforts de paix.
Face à cette situation, le gouvernement nigérian reste terriblement silencieux. Dans ce vide, les discours politisés servant des intérêts particuliers ont prospéré. Par exemple, les élites et les leaders politiques des régions affectées soupçonnent le président nigérien, Muhammadu Buhari, d’être complice des attaques (bien qu’ils aient cessé de le mettre en cause directement). Or il n’y a à ce jour aucune preuve d’une telle implication du président ; mais dans une société nigériane très hiérarchisée, l’avis des élites est parole d’Évangile.
Le président nigérian a également évoqué le projet de redonner au lac Tchad sa superficie initiale, en y amenant l’eau du fleuve Ubangi, situé dans le bassin du Congo ; cette option a été récemment évoquée lors de la dernière conférence de l’Union africaine. Mais pour l’heure, le lac Tchad ne fait toujours pas partie de la stratégie du gouvernement pour régler le conflit entre agriculteurs et bergers.
Quelle serait donc une solution équitable et durable au conflit actuel ?
Il ne fait pas de doute que le lac Tchad nécessite d’être « rempli » à nouveau et qu’une politique ambitieuse de plantations d’arbres et de gestion de l’eau doit être conduite en parallèle. Une telle démarche aura besoin de l’engagement des pays frontaliers du Nigeria qui font face chacun à de sérieux problèmes environnementaux ; il faudra aussi le soutien des bailleurs de fonds internationaux. Une telle mobilisation contribuerait grandement à endiguer les migrations des bergers vers le sud, réduisant d’autant les possibilités de conflits.
Le gouvernement nigérian doit également reconnaître, et ce de manière publique, qu’il s’agit bien d’un conflit portant sur les ressources ; un conflit exacerbé par une crise environnementale. Il faut le rappeler sans relâche pour éviter les discours biaisés.
Quant aux médias nigérians, qui font bien souvent leur miel des histoires attisant les passions, ils se doivent de traiter ces heurts entre bergers et agriculteurs de façon moins sensationnelle ; il s’agit de donner davantage de place à l’investigation pour permettre de traiter ce problème complexe de manière nuancée. Car la situation ne se réduit pas aux seuls aspects ethniques et les enjeux environnementaux ne peuvent plus longtemps être ignorés.
Olalekan Adekola, Lecturer in Geography, York St John University
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.