Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne », un partenariat CEPII–La Tribune–The Conversation–Xerfi–Canal. Étienne Espagne est économiste au CEPII. Il a publié de nombreux articles dans des journaux académiques dans les domaines du changement climatique et de l’économie de l’énergie. Il répond aux questions d’Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran.
On en parle peu dans la campagne, pourtant la transition écologique est un enjeu majeur. Pour commencer, de quoi s’agit-il ?
La transition écologique, c’est l’ensemble des actions à mener pour ne plus vivre à crédit sur les ressources en apparence gratuites de notre environnement. Si l’on se concentre sur le changement climatique, cela implique une limitation drastique des émissions de dioxyde de carbone (CO2) de tous les secteurs de l’économie, et notamment des secteurs de l’énergie, des transports et du bâtiment qui sont les plus gros émetteurs de CO2. D’après les estimations disponibles, si l’on ne fait rien à l’échelle globale, la concentration atmosphérique en CO2 pourrait atteindre 700 à 900 parties par million (ppm) d’ici 2100, soit une augmentation de la température moyenne de 3 à 4 degrés (voire bien plus), contre une concentration actuelle de 440 ppm. Pour donner un ordre d’idée, les 800 000 dernières années n’ont jamais connu de concentrations supérieures à 300 ppm.
Quels changements la transition écologique réclame-t-elle ?
Des changements majeurs à n’en pas douter, mais que l’on peut voir aussi comme autant d’opportunités. Il s’agit à la fois de modifier en profondeur la structure productive existante et de redéfinir un cadre financier global qui puisse accompagner la transition vers un monde neutre en carbone, c’est-à-dire un monde qui réduit et, si possible, compense les gaz à effet de serre qu’il émet dans l’atmosphère. D’un point de vue économique et industriel, c’est l’occasion d’un nouveau mode de croissance de l’activité, dans des secteurs souvent intenses en emplois et dont les transformations se diffuseront aux autres secteurs.
Quelle est l’ampleur de ces besoins d’investissement ?
En France, les besoins d’investissements dans la seule rénovation thermique des bâtiments dépasseraient les 10 milliards d’euros par an à l’horizon de plusieurs décennies, si l’on s’en tient à l’objectif annuel fixé par le gouvernement depuis 2013 de 500 000 rénovations. Quant aux besoins de financement d’infrastructures de réseaux énergétiques en Europe, ils s’élèvent, d’après la Commission européenne, à près de 200 milliards d’euros d’ici à 2020 et les besoins d’investissements en infrastructures de transports transeuropéens à 1 500 milliards d’euros d’ici à 2030. L’ampleur de ces besoins fait immédiatement réaliser le rôle que le secteur financier a à jouer : il doit porter la transition écologique et pour cela se transformer en profondeur. C’est là le sens de la finance-climat.
Qu’est-ce que la finance-climat : de nouveaux actifs financiers, des actifs verts ?
Cela va bien au-delà. La finance-climat doit s’entendre comme une « climatisation » de l’ensemble de la finance. Les instances de régulation financière britannique et européenne commencent à réaliser que le système financier et de l’assurance est particulièrement exposé aux conséquences du changement climatique. Par exemple, les coûts d’assurance de l’ouragan Katrina sont estimés, au bas mot, entre 40 et 60 milliards d’euros.
Que se passerait-il si trois ou quatre Katrina survenaient la même année ? Cela deviendrait une crise qui toucherait l’ensemble du secteur financier, avec des répercussions en chaîne, économiques et sociales, bien au-delà du lieu initial du sinistre. Le système financier doit donc se transformer pour porter la transition écologique mais aussi pour parer aux risques que le réchauffement climatique lui fait courir. D’autant plus que son actuel aveuglement aux enjeux de long terme ne peut qu’accroître sa vulnérabilité aux conséquences du changement climatique.
Cette transformation serait-elle l’occasion de reconnecter la finance à l’économie réelle et de réduire son instabilité ?
Oui, et c’est tout l’enjeu de cette climatisation de la finance. Passant par une réorientation des flux financiers vers des investissements bas carbone, cette transformation bénéficiera à la transition écologique autant qu’à la stabilité financière, puisqu’elle conduira la finance vers une moindre exposition aux risques climatiques et vers moins d’activités spéculatives.
Quelles actions entreprendre pour permettre à ces transformations de voir le jour ?
Il faut tout d’abord mesurer et divulguer le « contenu en carbone » des titres financiers, ce qui a commencé. De la disponibilité et de la crédibilité de cette information dépendra la réorientation des flux financiers vers des investissements « climato-compatibles ». Il faudra aussi inciter les acteurs financiers à détenir des actifs bas carbone, ce qui pourrait passer par un ajustement des règles prudentielles avec des exigences de fonds propres moindres sur les actifs bas carbone et rehaussées sur les actifs carbonés. Une montée en puissance des banques publiques d’investissement et de développement serait aussi nécessaire pour allonger l’horizon temporel des investisseurs et signaler clairement l’engagement de la puissance publique dans la transformation de l’économie.
Les conclusions de la Commission Stiglitz-Stern, chargée de révéler la valeur du coût social du carbone et par conséquent les avantages collectifs à opérer la transition écologique, seront rendues à la veille de l’élection présidentielle française. Il reviendra donc au prochain Président de la République de se les approprier.
Pour aller plus loin
Aglietta M. et Espagne E. [2016], « Climate and Finance Systemic Risks, More than an Analogy? The Climate Fragility Hypothesis », CEPII working paper, n° 2016-10, avril.
Espagne É. [2016], « Après la COP21, comment climatiser la finance ? », L’économie mondiale 2017, La Découverte, « Repères », Paris.
Isabelle Bensidoun, Économiste, CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale; Etienne Espagne, Économiste, CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale et Jézabel Couppey-Soubeyran, Maître de conférences en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et conseillère éditoriale, CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.