La production de plastiques a connu ces dernières décennies une croissance exponentielle, passant de 1,5 million de tonnes produites en 1950 à l’échelle mondiale à 335 millions de tonnes en 2016. Une quantité importante de cette production est consacrée aux emballages ou aux plastiques à « usage unique ». S’y ajoute la fabrication de fibres synthétiques, qui s’élève à 60 millions de tonnes par an.
Cette production massive s’accompagne d’une pollution globale dont les articles de presse et les publications scientifiques se font l’écho. En étudiant le nombre d’articles parus au niveau mondial depuis 1956, on s’aperçoit que cette médiatisation s’est fortement accélérée depuis 2014, et tout particulièrement au cours des derniers mois. Cette intensification s’explique de plusieurs façons.
Au cours de leur cycle de vie, les produits en plastique peuvent se retrouver dans l’environnement. Même si des incertitudes persistent, on estime par exemple qu’entre 1 et 2,5 millions de tonnes de ces déchets sont rejetés chaque année dans les mers par les fleuves. Ces plastiques, peu dégradables, peuvent se fragmenter en microplastiques – désignant des débris d’une taille inférieure à 5 mm.
La pollution des écosystèmes par les plastiques a débuté dès l’invention de ces matières. En 1970, de premiers « lanceurs d’alerte » mettaient déjà en évidence la présence dans le milieu marin de débris de l’ordre du millimètre. Et ils évoquaient déjà des effets sur l’environnement : étranglements, ingestion par les organismes vivants, risques d’occlusions, accumulation sur ces débris de contaminants organiques, etc. Ils proposaient que des actions et mesures soient prises pour limiter leur présence dans l’environnement marin.
La découverte des gyres océaniques – ces immenses tourbillons d’eau où s’accumulent des tonnes de déchets plastiques – constitue le fait marquant dans la mobilisation des politiques, des citoyens et des scientifiques contre cette pollution. Depuis 1997, les expéditions contribuant à mettre en lumière ce problème et le porter sur la place publique se sont multipliées. Cette prise de conscience collective, partagée entre scientifiques et citoyens, ne cesse depuis de se renforcer.
La communauté scientifique est aujourd’hui fortement mobilisée : nombre de travaux sont menés depuis une dizaine d’années en milieu océanique pour étudier la toxicité des débris plastiques sur les organismes vivants. De plus en plus d’équipes de recherche s’attellent à cette thématique et contribuent à la diffusion de nouvelles connaissances.
Ces travaux démontrent l’omniprésence des plastiques dans l’environnement, dans notre alimentation, dans l’air, et plus récemment dans les eaux embouteillées. Après avoir débutées en milieu marin, les nouvelles actions tendent à mieux comprendre l’origine de ces plastiques et se conduisent sur le continent afin de traquer les différentes sources de déchets plastiques.
En parallèle de l’action scientifique, une forte mobilisation du milieu associatif et de la société civile contre « le tout plastique » est observée ; elle se matérialise par exemple par des opérations citoyennes de collecte de déchets sauvages.
Certaines associations comme Surfrider, la Fondation Ellen Macarthur ou encore Ocean Clean Up sont particulièrement connues dans ce domaine. Leur communication est d’autant plus efficace que cette pollution est « visible » et renvoie à chacun la notion de la dégradation de la nature. Les images d’espèces emblématiques (tortues, dauphins, baleines, etc.), prisonnières d’anneaux en plastique ou d’animaux marins morts en ayant ingérés des quantités importantes de déchets plastiques n’ont pu vous échapper ! Ce lobbying associatif a pesé dans les évolutions réglementaires avec, par exemple, l’interdiction attendue en Europe des objets plastiques à usage unique, comme les pailles ou les cotons-tige. Leur exposition et les différentes actions que ces structures mènent leur permettent de lever des fonds importants.
Cette mobilisation scientifique et citoyenne a poussé les instances institutionnelles à se saisir elles aussi de la thématique des débris plastiques.
Celle-ci est devenue une préoccupation environnementale de premier ordre ces dernières années et fait maintenant partie de la définition du « bon état écologique » des écosystèmes marins (dans le cadre de la Directive cadre stratégie pour le milieu marin). À l’échelle de la France, en réponse aux préconisations de la Commission européenne et du lobbying de Surfrider, différents textes législatifs ont été adoptés ou sont en cours de rédaction. Des textes en avance sur le calendrier européen prévoient notamment l’interdiction des cotons-tiges et des pailles, omniprésents dans l’environnement.
Il est possible, chacun à son niveau, d’agir directement sur les débris plastiques. En « refusant de disparaître », ces déchets salissent la nature de manière indéniable et invitent à passer à l’action.
Aujourd’hui, les différents acteurs de cette lutte – scientifiques, journalistes et citoyens – s’alimentent réciproquement et continuellement sur ce sujet.
Contrairement à d’autres problématiques environnementales « non visibles » – comme les perturbateurs endocriniens ou l’émission des gaz à effets de serre – où les scientifiques ont alerté mais n’ont été relayés qu’après plusieurs années dans la presse, les dynamiques de publication et de médiatisation sur la pollution plastique montrent que chacun s’est emparé de la question.
Rares sont les sujets où les lobbies industriels, les instances institutionnelles et les milieux associatifs, parviennent à laisser ainsi leurs intérêts divergents dans l’ombre, et à communiquer de concert. Du moins, en apparence…
Johnny Gasperi, Chercheur en sciences et techniques de l’environnement, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Bruno Tassin, Directeur de recherche, sciences de l’environnement, École des Ponts ParisTech (ENPC); Denis Blot, Maître de conférences en sociologie, Université de Picardie Jules Verne et Romain Tramoy, PostDoc en environnement, École des Ponts ParisTech (ENPC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.